Paul Klee - Théorie de l'Art Moderrne

 

Résumé – Bien loin du figuratif, l’artiste, véritable passeur, propose sa vision du monde car « il ne vient à l’idée de personne d’exiger d’un arbre qu’il forme ses branches sur le modèle de ses racines ». Ses rêves, ses idées, son imagination lui font déformer le monde car, pour lui, ce n’est pas le seul monde possible. Ici l’artiste rend visible l’invisible et montre l’homme, non tel qu’il est, mais tel qu’il pourrait être. « De même qu’un enfant dans son jeu nous imite, de même nous imitons dans le jeu de l’art les forces qui ont créé et créent le monde ». « La forme créatrice échappe à toute dénomination, elle reste en dernière analyse un mystère indicible. Mais non point un mystère inaccessible incapable de nous ébranler jusqu’au tréfonds. Nous sommes chargés nous-mêmes de cette forme jusqu’au dernier atome de moelle. Nous ne pouvons dire ce qu’elle est, mais nous pouvons nous rapprocher de sa source. »

 

Il y a dans l’art de la place pour chacun – « L’art n’est pas une science que fait avancer pas à pas l’effort impersonnel des chercheurs. Au contraire, l’art relève du monde de la différence : chaque personnalité, une fois ses moyens d’expression en mains, a droit au chapitre et seuls doivent s’effacer les faibles cherchant leur bien dans des accomplissements révolus au lieu de le tirer d’eux-mêmes. La modernité est un allègement de l’individualité. Sur ce terrain nouveau, même les répétitions peuvent exprimer une sorte nouvelle d’originalité, devenir des formes inédites du moi, et il n’y a pas lieu de parler de faiblesse lorsqu’un certain nombre d’individus se rassemblent en un même lieu : chacun en attend l’épanouissement de son moi profond ! »

 

L’artiste, avant tout un passeur – « Afflue vers l’artiste la sève qui le pénètre et qui pénètre ses yeux. L’artiste se trouve ainsi dans la situation du tronc. Sous l’impression de ce courant qui l’assaille, il achemine dans l’œuvre les données de sa vision. Et comme tout le monde peut voir la ramure d’un arbre s’épanouir simultanément dans toutes les directions, de même en est-il de l’œuvre. Il ne vient à l’idée de personne d’exiger d’un arbre qu’il forme ses branches sur le modèle de ses racines. Chacun convient que le haut ne peut être qu’un simple reflet du bas. […] Ni serviteur soumis, ni maître absolu, mais simplement intermédiaire. L’artiste occupe ainsi une place bien modeste. Il ne revendique pas la beauté de la ramure, elle a simplement passé par lui. »

 

L’artiste déforme le monde car pour lui ce n’est pas le seul monde possible. Ici l’artiste rend visible l’invisible et montre l’homme, non tel qu’il est, mais tel qu’il pourrait être - « Je voudrais maintenant examiner la dimension de l’objet sous un jour nouveau, en lui-même, et essayer à ce propos de montrer comment l’artiste en arrive souvent à une ‘déformation’ apparemment arbitraire des réalités naturelles. L’artiste n’accorde pas aux apparences de la nature la même importance contraignante que ces nombreux détracteurs réalistes. Il ne s’y sent pas tellement assujetti, les formes arrêtées ne représentant pas à ses yeux l’essence du processus créateur dans la nature. La nature ‘naturante’ lui importe d’avantage que la nature ‘naturée’. Peut-être est-il philosophe à son insu, et s’il ne tient pas, comme les optimistes, ce monde pour le meilleur des mondes possibles, ni ne veut affirmer non plus que celui qui nous entoure est trop mauvais pour qu’on puisse le prendre comme modèle, il se dit toutefois : sous cette forme reçue, il n’est pas le seul monde possible. L’artiste scrute alors d’un regard pénétrant les choses que la nature lui a mises toutes formées sous les yeux. Plus loin plonge son regard et plus son horizon s’élargit du présent au passé. Et plus s’imprime en lui, au lieu d’une image finie de la nature, celle – la seule qui importe – de la création comme genèse. […] Mais ce que ramène cette plongée dans les profondeurs – qu’on l’appelle comme on voudra, rêve, idée, imagination – ne saurait être pris vraiment au sérieux avant de s’être associé étroitement aux moyens plastiques appropriés pour devenir Œuvre. Alors seulement les Curiosités deviennent des Réalités. Des réalités de l’art qui élargissent les limites de la vie telle qu’elle apparaît d’ordinaire. Parce qu’elles ne reproduisent pas le visible avec plus ou moins de tempérament, mais rendent visible une vision secrète. […] Je n’entends nullement montrer l’homme tel qu’il est, mais tel qu’il pourrait être. […] L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible

 

L’art à l’image de la création – « L’art est à l’image de la création. C’est un symbole tout comme le monde terrestre est un symbole du cosmos. […] Au sens le plus haut, le mystère ultime de l’art subsiste au-delà de nos connaissances les plus détaillées ; et à ce niveau là, les lumières de l’intellect s’évanouissent piteusement. […] L’art joue sans s’en douter avec les réalités dernières et néanmoins les atteint effectivement. De même qu’un enfant dans son jeu nous imite, de même nous imitons dans le jeu de l’art les forces qui ont créé et créent le monde. […] Son progrès [celui de l’artiste] dans l’observation et la vision de la nature le fait accéder peu à peu à une vision philosophique de l’univers qui lui permet de créer librement des formes abstraites. Dépassant le schématisme de ce qui est trop voulu, ces formes atteignent à un nouveau naturel, la nature de l’œuvre. L’artiste crée ainsi des œuvres, ou participe à la création d’œuvres, qui sont à l’image de l’œuvre de dieu. […] La forme créatrice échappe à toute dénomination, elle reste en dernière analyse un mystère indicible. Mais non point un mystère inaccessible incapable de nous ébranler jusqu’au tréfonds. Nous sommes chargés nous-mêmes de cette forme jusqu’au dernier atome de moelle. Nous ne pouvons dire ce qu’elle est, mais nous pouvons nous rapprocher de sa source dans une mesure variable.»

 

Avis personnel : Un livre difficile d’accès mais « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible.» ne vaut-il pas un livre ?