Jean Pierre Royol - Art Thérapie, Quand l'Inaccessible est Toile

 

Extraits

 

Définir l’art thérapie : L’art thérapie tresse des fils issus de trois champs : l’art, la psychologie et la psychanalyse, qui ont en commun le maniement de l’angoisse et le goût des opérations transformatrices. Cet entrelacement constitue la trame d’une pratique polymorphe et stimulante qui nous convoque inévitablement à l’inattendu. Utilisée dans le champ du soin et de la prévention, cette méthode de soin consiste, en premier lieu, à créer les conditions favorables à l’expression, puis au dépassement des difficultés personnelles par le biais d’une stimulation des capacités créatrices. Elle trouve aujourd’hui sa place dans le cadre du traitement des troubles dépressifs et psychosomatiques, des conduites addictives, des problématiques alimentaires, mais aussi dans celui des pathologies plus sévères, comme les psychoses et l’autisme. Ce travail en profondeur passe par un retour aux racines des processus de subjectivation et de symbolisation via la rencontre avec la matière – que nous définirons ici comme l’ « amas-tiers » - qui permet une certaine appropriation de la réalité psychique.

 

Limites des soins et thérapies traditionnels : Le soin ne suffit pas si la raison ne chante. Le soin sec et muet qu’ont subi certaines personnes découragées ne peut être répété, car elles ont besoin, pour se libérer de leurs contraintes, de nouveaux espaces de liberté.

 

L’apport de l’art thérapie : L’activité créatrice privilégie l’accès au fictionnel, car elle invite à l’aventure d’assemblages insoumis au sens. Elle permet l’éclosion d’espaces de gratuité en marge de la production culturelle. Elle ouvre des espaces intervallaires de respiration psychique. Entrer en créativité, c’est aussi se libérer de la toxicité d’affects qui dépassent nos capacités de métabolisation. L’affect peut se trouver en souffrance comme une lettre en attente d’un destinataire. Il demeure alors en état de tension comme un cri silencieux qui, pour être perçu comme appel, doit épouser la forme d’un signifiant. L’acte poétique permet à ce cri silencieux de se hisser au rang de parole. Aux prises avec l’amas-tiers, le patient peut opérer avec la réalité, en se libérant d’un idéal de création grâces à des productions relatives, en acceptant d’être créatif. Ce n’est pas d’art qu’il s’agit, car, si nous sommes bien en situation de créativité, ce cadre n’est pas du tout propice à la création artistique, mais au soin psychique.

 

La pêche, plutôt que le poisson : Je définis trois versions de l’art thérapie : préventive, dynamique et curative. L’art thérapie préventive a sa place dans tous les moments de transition comme l’accouchement, l’entrée en maternelle, l’adolescence, le deuil, l’hospitalisation, la perte d’un emploi, l’emprisonnement… L’art thérapie dynamique vise généralement à renarcissiser le sujet pour qu’il retrouve confiance en lui. Ce qui est visé est de l’ordre d’un réconfort et d’une redynamisation psychique. Pour l’art thérapie curative, l’utilisation de techniques s’appuyant sur l’éphémère doit être privilégiée pour que les objets créés demeurent au plus près du statut de la parole. Dans tous les cas, c’est le sujet qui prime et non sa production, qui est un conglomérat transférentiel, une mise en forme de notre contre-transfert. Peu importe si le sujet ne produit rien de génial, pourvu qu’il aille mieux. C’est dans ce but qu’il est venu, non pour devenir artiste. Il est ainsi toujours urgent d’attendre, et l’art thérapeute doit avoir la patience du pêcheur. Il sait que les poissons de notre inconscient fuient nos agitations internes et certaines fiches d’observation serrées comme des nasses. On ne sait pas vraiment ce qui fonctionne en art thérapie. On ne peut pas vraiment le savoir. C’est peut-être juste ce reflet du poisson de l’inconscient qui passe dans un rayon de lumière. Quand on s’intéresse plus au poisson qu’à la pêche, on tombe vite dans le rejet de ceux qui ne font pas la maille ; et c’est pour cela qu’il ne faut pas s’acharner sur l’objet.

 

Résister au désir de ne rien manquer : Notre insécurité se manifestait par une prise de notes défensive et assidue qui intervenait surtout comme autant de tentative d’ancrage. Puis, nous avons compris que le fait de cesser de prendre des notes provoquait une participation plus vivante à l’activité picturale. La prise de notes, en déshumanisant la rencontre, est un véritable obstacle à l’expression subjective. Le sujet s’exprime enfin plus librement car eux-mêmes [les art thérapeutes] sont beaucoup plus détendus. Le travail dans l’après coup, en résistant au désir de ne rien manquer, nous permit de tisser des liens créateurs de pensée entre les bords de nos oublis.

 

Artiste et bon thérapeute ? : Vivre dans le domaine de l’art, c’est choisir des sentiers où la qualité prime sur la quantité, et ce choix est une aptitude nécessaire mais non suffisante à conduire celui qui souffre à une ouverture psychique. L’art  thérapeute, en tant qu’artiste, cherche ce précieux silence, cette profonde inspiration qui permet de prendre du recul face à un monde qui vénère le rendement. La pire souffrance de l’homme n’est elle pas d’être tellement submergé par son conditionnement interne comme externe qu’il ne parvient plus à jouer des partitions de plaisir qui donnent goût à la vie ? Toute partition vitale nécessite des pauses et des soupirs en tant que figures du silence. Rien ne vaut sans intervalles. L’art borde et donne vie à ce vide en relançant de désir de désirer. Tous ces gens en souffrance ont souvent été testés, on a mesuré les capacités de leur psychisme, on a étalonné leur corps, on a mesuré leur posologie, on a quantifié leurs progrès ou leurs régressions, on leur a proposé nombre de réponses. Ils nous arrivent largement alourdis de ces propositions quantitatives et leur espace intervallaire de respiration subjective est bien souvent réduit à une peau de chagrin. Il s’ensuit que se délester de cet excès de raison raisonnante n’est pas facile ; mais si le pari de la créativité est tenu jusqu’au bout, nous pouvons témoigner que ceux-là mêmes qui incarnaient, sans aucun écart de liberté créatrice, l’objet du désir de l’Autre, retrouvent le plaisir de penser, de jouer, de créer, c'est-à-dire la santé psychique.

Selon Freud, l’artiste prend des raccourcis pour dévoiler les contenus inconscients et ceci conduit à penser qu’il est à même d’aider ceux qui souffrent. Cependant, l’art ne permet pas toujours à l’artiste de s’extraire d’une problématique psychique. Pensons à ceux qui, comme Van Gogh et bien d’autres, n’ont pas pu dépasser les contraintes de l’aliénation.

 

Avis personnel : Beaucoup de poésie. A relire plus tard dans le cycle de ma formation en art thérapie. Surtout quant aux psychotiques et aux autistes.