Les Formes de Arp
J’ai toujours aimé l’œuvre de Jean Arp (1886 – 1966). Son apparente simplicité, son épure.
Arp n’est pas que sculpteur. Il réalise aussi des dessins, gravures, et collages et a écrit beaucoup de poésie. Il est le cofondateur du mouvement Dada à Zurich en 1916 et sera ensuite proche du mouvement surréaliste. A son époque, il est considéré comme un anticonformiste, un contestataire… mais sera toujours reconnu par ses proches et amis dont Wassily Kandinsky, Piet Mondrian, Paul Klee, André Breton ou encore Tristan Tzara. Amitiés et rebellions…
« Je voulais créer de nouvelles apparences, extraire de l’homme des formes nouvelles. » Telle est sa quête. « Ces œuvres d’art, construites avec des lignes, des surfaces, des formes et des couleurs, tentent d’atteindre, au-delà de l’humain, l’infini et l’éternité. »
Un art non sans lien avec l’Histoire. « Nous cherchions un art élémentaire qui, du moins nous le pensions, devait sauver les hommes de la folie furieuse de l’époque. »
Enfin un art qui fait la part belle à la surprise, l’accident, la nature. « Je me laisse porter par l’œuvre qui nait et j’ai confiance en elle. Je me laisse porter par mon travail sans réfléchir. »
Et puis, comment résister à un artiste dont les tous derniers mots furent « Je vous aime tous» ?
Les Couleurs de Staël
Le peintre Nicolas de Staël (1914 – 1955) incarne pour moi tout à la fois le génie de la couleur et le côtoiement des abimes. Génie de la couleur que j’aurais rêvé être et abimes que j’ai toujours rêvé d’approcher sans pour autant en avoir la force et le courage.
En quinze ans et plus de mille tableaux, de Staël fait exalter la couleur, trouve des accords improbables et merveilleux, semble ne retenir que l’essentiel, le tout par épaisses couches de peinture superposées et un important jeu de matières. On sent une permanente tension dans son œuvre comme dans sa vie. Il travaille avec acharnement, détruisant autant d’œuvres qu'il en réalise, lui qui finira par se détruire lui-même…
Je retiens une sorte de fulgurance dans l’œuvre et la vie de Staël. Et c’est précisément cette fulgurance, cette énergie que je veux retenir de lui. « Je travaille sans cesse. Je crois que la flamme augmente chaque jour et j’espère bien mourir avant qu’elle ne baisse. » Ou encore « Ce que j’essaie, c’est un renouvellement continu, vraiment continu. Ce n’est pas facile. »
Le grand frère que je n’ai jamais eu ? Celui qui me surprend, me montre la voie, et part trop tôt...
La Lumière de Rothko
Mark Rothko (1903 – 1970) est classé le plus souvent parmi les peintres expressionnistes abstraits. Souvent anxieux – il se suicidera - et irascible, mais aussi dévoué et affectueux envers ses proches, cet intellectuel très doué tisse de nombreux ponts entre sa création et la philosophie, en particulier celle de Nietzsche, la psychologie, notamment les apports de Freud et Jung, et les mythes antiques. Influencé par l'œuvre d'Henri Matisse, Rothko s’exprime, dans ses toiles, exclusivement par le moyen de la couleur qu’il pose sur la toile en aplats à bords indécis, en surfaces mouvantes, parfois monochromes et parfois composées de bandes diversement colorées. Il atteint ainsi une dimension spirituelle particulièrement sensible.
Face à l’œuvre de Rothko, je reste admiratif et rêveur. Admiratif qu’un intellectuel aussi brillant ait pu tendre vers une telle épure, une telle force et une telle – apparente – simplicité. Et rêveur aussi devant une telle lumière et une telle profondeur, à la fois pourvoyeuse d’énergie et réceptacle de la méditation et de la contemplation.
La Pensée de Kandinsky
Je veux ici évoquer, non la peinture – pourtant considérable – de Wassily Kandinsky (1866 – 1944) mais son livre « Du Spirituel dans l’Art » qui m’a bouleversé à l’époque même où j’entrepris le chemin vers la création. C’est un formidable plaidoyer pour un art d’un genre nouveau : celui, abstrait, qui s’éloigne enfin d’une imitation figurative de la Nature, ou de l’art pour l’art, et devient le langage pour accéder à l’âme. Ainsi l’art peut il transformer l’homme et le monde. L’art ne se doit plus d’être ‘esthétique’ mais n’est bon que lorsqu’il s’adresse et a accès à l’âme. « La création d’une œuvre, c’est la création du monde. » Kandinsky appelle de toutes ces forces un tournant spirituel « Lorsque la religion, la science et la morale sont ébranlées et lorsque les appuis extérieurs menacent de s’écrouler, l’homme détournent ses regards des contingences extérieures et les ramène sur lui-même. La littérature, la musique, l’art sont les premiers et les plus sensibles des domaines dans lesquels apparaîtra réellement ce tournant spirituel. »
En peinture, comme dans les autres arts, « est beau ce qui procède d’une nécessité intérieure de l’âme. Est beau ce qui est beau intérieurement ».
L’artiste est à la fois libre et responsable : libre car « l’art fuit devant le ‘il faut’. Comme le jour devant la nuit. » et responsable parce que « l’artiste […] n’a pas le droit de vivre sans devoirs, il a une lourde tâche à accomplir, et c’est souvent sa croix. »
Ainsi « L’art dans son ensemble n’est pas une vaine création sans but de choses qui se dissolvent dans le vide, mais une force qui tend vers un but et doit servir à développer et à affiner l’âme humaine. Il est le langage qui, dans sa seule forme particulière, parle à l’âme des choses qui constituent son pain quotidien et qu’elle ne peut recevoir que sous cette forme. L’art se dérobe-t-il à cette tâche, rien ne saurait combler le vide de son absence, car il n’existe aucune autre puissance capable de le remplacer.»
Un art abstrait qui s’adresse au cœur et à l’âme…
La Peinture sculptée de Soulages
Pierre Soulages (né en 1919) est un peintre et graveur français associé depuis la fin des années 1940 à l'art abstrait. Il est particulièrement connu pour son usage des reflets de la couleur « noir », qu'il appelle noir-lumière ou outre-noir. Soulages a réalisé plus de 1 500 tableaux qu'il intitule tous du mot « Peinture » suivi de leur format.
Soulages a choisi l'abstraction, car il dit ne pas voir l’intérêt de passer « par le détour de la représentation […] Je ne représente pas, dit-il, je présente. Je ne dépeins pas, je peins »
« C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche. »
« L’œuvre vit du regard qu’on lui porte. Elle ne se limite ni à ce qu’elle est, ni à celui qui l’a produite, elle est faite aussi de celui qui la regarde. Je ne demande rien au spectateur, je lui propose une peinture : il en est le libre et nécessaire interprète. »
Outre qu’il s’agisse d’abstraction, qu’elle ne porte pas de titre, qu’elle se présente de manière monochrome et qu’elle passe plus par l’action que par la réflexion, l’œuvre de Soulages dispose, à mes yeux, d’un ultime atout : c’est une peinture sculptée, un réprésentaion de la 3D sur un support 2D par nature, qui joue avec la lumière … alors même qu’elle n’est faite « que » de noir. Ce noir qui se « soulage » dans la lumière !
Et la Simplicité symbolique de l'Art africain
On se rappelle tous de la réplique de Picasso : « L’art nègre, connais pas ! » C’était évidement une boutade, tant l’atelier de l’artiste était peuplé de figurines africaines. A elle seule cependant, cette anecdote en dit long sur l’influence, toutes les influences, des arts dorénavant qualifiés de « premiers » sur la création artistique occidentale du 20ème siècle. Qui peut en effet imaginer, par exemple, la naissance du cubisme autrement que dérivée de l’art africain ?
Passionné d’art africain, modeste collectionneur, j’ai toujours tenté, au cours de mes différents voyages en Afrique, d’y retrouver trace du travail des « forgerons », car c’est souvent ainsi que l’on nomme les sculpteurs sur le vaste continent.
Outre sa simplicité, parfois même sa naïveté, j’aime l’art africain car il porte sur lui la trace de l’Homme, la patine d’usage, l’usage qu’en ont fait les femmes et les hommes qui ont mangé avec, dansé avec, joué avec, prié avec.
De plus, l’art africain est le plus souvent porteur d’une belle histoire, d’une morale, d’une valeur, parfois même d’une cosmogonie, de symboles. Et, parmi ces symboles, celui de ma propre renaissance quand, à un moment charnière de mon existence, un vieux chef de village me baptisa, un soir de réveillon et d’éclipse solaire, du nom de Zani ! (cf. Onglet "Mon Nom est Zani")
Un autre jour, je vous parlerai de la force de Georg Baselitz, le design de Piet Mondrian, les théories de Paul Klee, la simplicité d’Henri Matisse sans oublier bien sûr la rage de Vincent van Gogh !